que moi incapable de désintéressement quand on Lui parle, il est presque honteux de l’oser prier, car enfin si je songe à Lui, c’est pour demander un peu de bonheur — et cela n’a aucun sens. Dans l’immédiat naufrage de la raison humaine voulant expliquer l’effrayante énigme du pourquoi de la vie, une seule idée surnage, au milieu des débris des pensées qui sombrent, l’idée d’une expiation que l’on sent et dont on ne comprend pas la cause, l’idée que le seul but assigné à la vie est la Douleur.
Chacun aurait un compte de souffrances physiques et morales à épuiser et alors quiconque ne le règle pas, ici-bas, le solde après la mort ; le bonheur ne serait qu’un emprunt qu’il faudrait rendre ; ses simulacres mêmes s’assimileraient à des avances d’hoirie sur une future succession de peines.
Qui sait, dans ce cas, si les anesthésiques qui suppriment la douleur corporelle n’endettent point ceux qui s’en servent ? Qui sait si le chloroforme n’est pas un agent de révolte et si cette lâcheté de la créature à souffrir n’est point une sédition, presque un attentat contre les volontés du ciel ? S’il en est ainsi, ces arriérés de tortures, ces débets de détresse, ces warrants de peines évitées, doivent produire de terribles intérêts, Là-Haut ; cela justifie le cri d’armes de sainte Térèse : « Seigneur, toujours souffrir ou mourir ! » cela explique pourquoi, dans leurs épreuves, les saints se réjouissent et supplient le Seigneur de ne les point épargner, car ils savent, ceux-là, qu’il faut payer la somme purificatrice des maux pour demeurer, après la mort, indemne.
Puis, soyons justes, sans la douleur, l’humanité serait