Page:Huysmans - L'Oblat.djvu/233

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mais malheureusement plus ou moins réparées et un peu campées au hasard quand l’on avait reconstitué ces tombes, ne se ressemblait et l’on demeurait véritablement confondu par l’incroyable adresse de ces imagiers qui, mis en face de modèles presque semblables, de visages rasés presque uniformes, de robes quasi pareilles, avaient su diversifier chaque moine d’un autre, exprimer en un simple jeu de physionomie son tréfonds d’âme, faire sourdre de l’ordonnance même des draperies et du cadre des capuchons, abaissés ou relevés, le caractère précis de l’homme qui les portait.

Ils avaient voulu beaucoup moins, en somme, décrire l’effet produit sur des religieux par l’annonce de la mort de l’un ou de l’autre de leurs bienfaiteurs, que donner, comme un instantané de la vie courante des cénobites et ils les avaient effigiés, l’Abbé en tête, mitré et crossé, tenant le livre ouvert de la règle, regardant d’un air impérieux et méfiant des moines qui pleurent ou lisent, méditent ou chantent, égrènent leur rosaire ou, désœuvrés, s’ennuient ; un même se mouche, tandis qu’un autre se cure tranquillement l’oreille.

L’on pouvait se délecter pendant des heures devant cette œuvre sculptée par des artistes de belle humeur qui connaissaient bien leurs amis du clergé régulier et s’amusaient sans méchanceté à leurs dépens, tant elle dégageait une joie expansive d’art ; et Durtal se séparait d’elle, à regret, car ces très anciens cloîtriers évoquaient, devant lui, ceux du Val des Saints, avec des ressemblances de port, de gestes, souvent frappantes. N’était-ce pas Dom De Fonneuve, ce vieux père, souriant et pensif, le col enfoncé très haut, derrière la nuque, par son