Page:Huysmans - Là-Bas, Tresse & Stock, 1895.djvu/89

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clair. À l’heure actuelle, il est bien évident que le Dieu bon a le dessous, que le Mauvais règne sur ce monde, en maître. Or, et c’est là où mon pauvre Carhaix, que ces théories désolent, ne peut me reprendre, je suis pour le Vaincu, moi ! C’est une idée généreuse, je crois, et une opinion propre !

— Mais le manichéisme est impossible, cria le sonneur. Deux infinis ne peuvent exister ensemble !

— Mais rien ne peut exister, si l’on raisonne ; le jour où vous discuterez le dogme catholique, va te faire fiche, tout s’écroule ! La preuve que deux infinis peuvent coexister, c’est que cette idée dépasse la raison et rentre dans la catégorie de celles dont parle « l’Ecclésiastique » : « Ne quiers point des choses plus hautes que toi, car plusieurs choses se sont montrées être par-dessus le sens des hommes ! »

Le manichéisme, voyez-vous, a eu certainement du bon, puisqu’on l’a noyé dans des flots de sang ; à la fin du xiie siècle on grilla des milliers d’Albigeois qui pratiquaient cette doctrine. Vous dire maintenant que les manichéens n’aient pas abusé de ce culte qu’ils rendaient surtout au Diable, je n’oserais le soutenir !

Ici, je ne suis plus avec eux, poursuivit-il doucement, après un silence, attendant que Mme  Car-