Page:Huysmans - La Cathédrale, 1915.djvu/184

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Ses Anges, ses Saints, il les mène jusqu’à la vie Unitive, jusqu’au suprême degré de la Mystique. Là, les douleurs des lentes ascensions ne sont plus ; c’est la plénitude des joies tranquilles, la paix de l’homme divinisé ; l’Angelico est le peintre de l’âme immergée en Dieu, le peintre de ses propres aîtres.

Et il fallait un moine pour tenter cette peinture. Certes, les Metsys, les Memling, les Thierry Bouts, les Gérard David, les Roger Van der Weyden, étaient d’honnêtes et de pieuses gens. Ils imprégnèrent leurs panneaux d’un reflet céleste ; eux aussi, réverbérèrent leur âme dans les figures qu’ils peignirent, mais s’ils les marquèrent d’une étampe prodigieuse d’art, ils ne purent que leur donner l’apparence d’une âme débutant dans l’ascèse chrétienne ; ils ne purent représenter que des gens demeurés comme eux dans les premières pièces de ces châteaux de l’âme dont parle sainte Térèse et non dans la salle au centre de laquelle se tient, en rayonnant, le Christ.

Ils étaient, suivant moi, plus observateurs et plus profonds, plus savants et plus habiles, plus peintres même que l’Angelico, mais ils étaient préoccupés de leur labeur, vivaient dans le monde, ne pouvaient bien souvent s’empêcher de donner à leurs Vierges des allures d’élégantes dames, étaient obsédés par des souvenirs de la terre, ne s’enlevaient pas hors de leur existence coutumière en travaillant, restaient, en un mot, des hommes. Ils ont été admirables, ils ont exprimé les instances d’une ardente Foi, mais ils n’avaient pas reçu cette culture spéciale qui ne se pratique que dans le silence et la paix du cloître. Aussi, n’ont-ils pu franchir le seuil du domaine séraphique où vaguait ce naïf qui n’ouvrait ses yeux fermés