Page:Huysmans - La Cathédrale, 1915.djvu/373

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l’ami de Menasseh-ben-Israël, l’un des hommes les plus savants de son siècle ; l’on peut admettre, d’autre part, que, sur ce fond de science cabaliste et de cérémonies mosaïques, se greffe chez ce protestant l’étude attentive, la lecture assidue de l’Ancien Livre, car il possédait une Bible qui fut, avec ses meubles, vendue à la criée, pour payer ses dettes.

Ainsi se justifierait le choix de ses sujets, l’agencement même de ses toiles, mais l’énigme n’en subsiste pas moins des résultats obtenus par un artiste que l’on ne s’imagine pas, malgré tout, priant, tel que l’Angelico et Roger Van der Weyden, avant de peindre.

Quoi qu’il en soit, avec son œil de visionnaire, son art ardent et pensif, son génie à condenser, à concentrer de l’essence de soleil dans sa nuit, il a atteint des effets grandioses et, dans ses scènes bibliques, parlé un langage que personne n’avait même balbutié avant lui.

Les Pèlerins d’Emmaüs ne sont-ils pas, à ce point de vue, typiques ? Décomposez l’œuvre, elle devrait être plate et monotone, sourde. Jamais ordonnance ne fut plus vulgaire : une sorte de caveau de pierres de taille, une table en face de nous, derrière laquelle Jésus, les pieds nus, les lèvres terreuses, le teint sale, les vêtements d’un gris rosâtre, rompt le pain, tandis qu’à droite un apôtre étreint sa serviette, le regarde, croit le reconnaître — qu’à gauche, un autre apôtre le reconnaît, lui, et joint les mains ; et celui-là pousse un cri de joie que l’on entend ! — enfin, un quatrième personnage, au profil intelligent, ne voit rien et sert, attentif à sa besogne, les convives.

C’est un repas de pauvres gens dans une prison ; les