Page:Huysmans - La Cathédrale, 1915.djvu/374

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couleurs se confinent dans la gamme des gris tristes et des bruns ; à part l’homme qui tord sa serviette et dont les manches sont empâtées d’un rouge de cire à cacheter, les autres semblent peints avec de la poussière délayée et du brai.

Ces détails sont exacts et cependant rien de tout cela n’est vrai, car tout se transfigure. Le Christ s’illumine, radieux, rien qu’en levant les yeux ; un pâle éblouissement remplit la salle. Ce Jésus si laid, à la mine de déterré, aux lèvres de mort, s’affirme en un geste, en un regard d’une inoubliable beauté, le Fils supplicié d’un Dieu !

Et l’on demeure absourdi, n’essayant même plus de comprendre, car cette œuvre d’un réalisme surélevé est hors et au-dessus de la peinture et personne ne peut la copier, ne peut la rendre…

Après Rembrandt… poursuivit Durtal, c’est l’irrémédiable déchéance de l’impression religieuse dans l’art. Le XVIIe siècle n’a d’ailleurs laissé aucun panneau dont l’aloi de mâle dévotion soit sûr, sauf cependant, au temps de Sainte Térèse et de Saint Jean de la Croix, en Espagne, car alors le naturalisme mystique de ses peintres enfanta de farouches et de ferventes œuvres ; et Durtal se remémorait un tableau de Zurbaran qu’il avait autrefois admiré au musée de Lyon, un Saint François d’Assises, droit, dans une robe de bure grise, la tête encapuchonnée, les mains ramenées dans ses manches.

Le visage paraissait modelé, creusé dans de la cendre et la bouche béait, livide, sous des yeux en extase, blancs, comme crevés. L’on se demandait comment ce cadavre qui n’avait plus que les os tenait debout et l’effroi