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Page:Huysmans - Marthe, histoire d'une fille, 1876.djvu/103

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son fonds et, lui, les laissait faire avec un beau désintéressement qui provenait, sans doute, de son habitude de se pocharder de l’aube jusqu’à la nuit et de la nuit jusqu’à l’aube. C’est à peine si, ce soir-là, il reconnut Léo ; il s’était si fort rué en cuisine, il s’était noyé l’âme dans un tel lac de reginglat, qu’il vacillait comme un navire en détresse, il faisait non pas eau mais vin de toutes parts ; il s’était traîné du comptoir jusque dans la petite salle et là, se caressant la bedaine, il débitait avec une profonde hébétude un chapelet de mots sonores dont il ne comprenait pas le sens, ratiocinait pour la millième fois, rabâchait jusqu’à extinction de voix, ses théories d’acteur en ripaille, s’adressant plus particulièrement à un malheureux journaliste qui butait du nez contre une table et criait d’une voix larmoyante :

— Ginginet, tu es grandiloquent comme feu Cicéron lui-même, mais tu m’embêtes ! »

Léo parvint à acculer l’ivrogne dans un coin et lui demanda des nouvelles de Marthe. Ginginet hurla à tue-gorge :

Elle est mon bien, elle est ma vie !

Puis, clignant de l’œil et tapant sur la cuisse