Page:Huysmans - Marthe, histoire d'une fille, 1876.djvu/135

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passé. Elle en vint à pleurer sa petite fille qui était morte en naissant et à aimer presque le jeune homme qui l’avait soignée dans cette crise horrible ; puis, à mesure que sa lamentable vie se déroulait devant elle, comme les tableaux changeants d’un kaléïdoscope, elle frissonnait, mesurant la profondeur des boues où elle avait plongé, et quand elle arriva à cette phase de son existence où elle avait servi dans le régiment des mercenaires, alors, dans le silence de l’alcôve, se dressa, avec sa robe bariolée et ses hurlements de sinistre joie, le spectre des maisons de filles.

Elle entrait, confuse, et des âmes, rendues charitables par l’ivresse, lui disaient : n’aie donc pas peur, tu t’y feras bien vite ; puis on la déshabillait et elle n’avait plus pour tout vêtement qu’une mousseline, sous laquelle son corps s’estompait en rose ; l’on apportait des verres et elle se mettait à jouer au nain-jaune des moos de bière louche, jusqu’à l’arrivée de M. Henri, le coiffeur chargé de rafistoler les femmes. Quand chacune avait sur le crâne un étage de tignasse et au-dessus du front un tas de banderoles et de fleurs, on buvait l’absinthe, on brassait à nouveau les cartes, attendant l’heure d’appareiller, soit pour Lesbos,