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LES ZENATA. 189

de Djana ; ajoutant ainsi, gratuitement, à la liste généalogique un aïeul dont aucun généalogiste ne fait mention. Selon d’autres, c’est un nom dérivé d’une racine [arabe], et, cependant, il n’existe pas dans la langue arabe une racine usitée qui soit formée des lettres radicales [z, n, t] du mot Zenata. Quelques gens dépourvus d’instruction ont prétendu le dériver de zina (fornication), et ils étayent leur assertion sur un conte ignoble qui répugne à la vérité. Toutes ces opinions procèdent de la supposition que les Arabes ont formé des mots pour exprimer toutes les espèces de choses et qu’ils n’emploient jamais des mots radicaux ou dérivés qui ne font pas partie de leur langue. En thèse générale, ce principe est vrai, mais il arrive aussi que les Arabes se servent de mots étrangers : tantôt, ce sont des noms propres auxquels ils n'ont fait subir aucune altération ; tels sont les mots Ibrahim, Youçof et Ishac, qui appartiennent à la langue hébraïque ; tantôt ce sont des mots d’emprunt dont ils ont adouci la prononciation par suite d’un fréquent usage ; tels sont lidjam (bride), zendjebil (gingembre), dibadj (brocart), mirouz (équinoxe du printemps), yasmin (jasmin), adjorr (brique)[1]. A force d’être employés par les Arabes, ces termes ont acquis le caractère des mots dont la formation et l’origine sont dues à ce peuple. On remarque dans ces mots arabisés, car c’est ainsi qu’on les nomme, des altérations qui affectent les voyelles et les consonnes. Il est même reçu chez les Arabes [de modifier les termes qu’ils empruntent à l’étranger] car ce changement opéré dans le mot primitif équivaut à la création d’un nouveau mot. Quelquefois le terme emprunté renferme des consonnes qui n’existent pas en Arabe, et alors on leur substitue celles qui s’articulent par les organes voisins. Il faut se rappeler que le nombre des sons articulés n’a point de limites ; les Arabes se servent de vingt-huit sons, ce qui forme

  1. Lidjam est une altération du mot persan ligam ; mendebil vient de chenkelil ; dibadj de dibah, nirouz de nevrouz ; yasmin est le même en persan qu’en arabe. M. de Sacy suppose qu’il existait en persan un mot qui s’écrivait agor, d’où le mot arabe adjorr ou adjor aurait été formé. Voy. son Anthologie grammaticale, p. 406, note 130.