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PROLÉGOMÈNES


cipes généraux qui s’y appliquent, sans les comparer avec des récits analogues, ou leur faire subir l’épreuve des règles que fournissent la philosophie et la connaissance de la nature des êtres, sans enfin les soumettre à un examen attentif et à une critique intelligente ; aussi se sont-ils écartés de la vérité pour s’égarer dans le champ de l’erreur et de l’imagination. Cela a eu lieu surtout[1] en matière de nombres, quand, dans le cours d’un récit, il s’est agi de sommes d’argent ou de la force d’une armée. C’est toujours là que l’on doit s’attendre à des mensonges et à des indications extravagantes ; aussi faut-il absolument contrôler ces récits au moyen de principes généraux et de règles établis par le bon sens.

C’est ainsi que Masoudi et plusieurs autres historiens ont dit, en parlant des armées des Israélites, que Moïse, en ayant fait le dénombrement dans le désert, après avoir passé en revue les hommes en état de porter les armes et âgés de vingt ans ou plus, trouva qu’il y avait plus de six cent mille guerriers[2]. Dans cette circonstance, l’écrivain ne s’est pas demandé si l’étendue de l’Égypte et de la Syrie était assez vaste pour fournir un tel nombre de troupes. Chaque empire du monde entretient pour sa défense autant de soldats que ses moyens le permettent ; il en supporte les frais ; mais il ne saurait y pourvoir s’il en augmentait le nombre. C’est ce qu’attestent les usages auxquels nous sommes habitués et les faits qui passent sous nos yeux. Ajoutons que des armées dont le nombre s’élèverait à un pareil chiffre ne sauraient manœuvrer ou combattre, attendu que le terrain se trouverait trop étroit : chaque armée, étant rangée en bataille, s’étendrait à deux ou trois fois la portée de la vue, sinon davantage. Comment alors ces deux grands corps pourraient-ils livrer bataille ? Comment un des partis pourrait-il remporter la victoire, lorsque dans une de ses ailes on ne saurait pas ce qui se passe dans l’autre[3] ? Les

  1. L’auteur a écrit سيا sans faire précéder ce mot par la particule négative لا. La plupart des Maghrébins commettent la même faute.
  2. Selon la Bible, six cent trois mille cinq cent cinquante. (Nomb. I, 46.)
  3. Il faut lire رسً et نسَعو dans le texte arabe.