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182 PROLÉGOMÈNES

alirnent suffisant, et l'on peut être assuré qu'il se passera très-bien de celles dont il a cessé de faire usage. Il en est de même de celui qui s'est accoutumé à supporter la faim et à se priver d'aliments, ainsi que le font, dit-on, certains dévots, qui s'imposent des mor- tifications. Nous avons entendu, à ce sujet, des histoires étonnantes, auxquelles on n'ajouterait aucune foi , si l'on ne savait pas qu'elles sont d'une vérité incontestable.

C'est l'habitude qui produit ces faits; car, lorsqu'un individu s'est accoutumé à une chose quelconque , elle devient pour lui une chose essentielle, une seconde nature, attendu que la nature de l'homme^ est susceptible de modifications très-diverses. Qu'elle s'habitue par degrés, et par principe de dévotion, à supporter la faim, cette absti- nence deviendra pour elle une pratique ordinaire et tout à fait na- turelle.

Les médecins se trompent en prétendant que c'est la faim qui fait P. i63. mourir : cela n'arrive jamais, à moins qu'on ne prive l'homme brus- quement de toute espèce d'aliment; alors les intestins se ferment tout à fait, et l'on éprouve une maladie qui peut conduire à la mort. Mais lorsque la chose se fait graduellement, et par esprit religieux, en diminuant peu à peu la quantité de nourriture, ainsi que font les soufis, la mort n'est pas à craindre. La même progression est en- core absolument nécessaire lorsque l'on veut renoncer à cette pra- tique de dévotion; car, si l'on reprenait subitement sa première manière de se nourrir, on risquerait sa vie. Il faut revenir au point de départ, en suivant une gradation régulière, ainsi que cela s'était fait en le quittant. Nous avons vu des hommes qui supportaient une abstinence complète pendant quarante jours consécutifs, et même davantage.

Sous le règne du sultan Abou'l-Hacen ^, et en présence de nos professeurs, on amena devant ce prince deux femmes, dont fune

Littéral, «l'âme.» Le même mot est ' Le règne du sultan merinide Abou 1-

encore employé dans cette phrase avec la Hacen se trouve raconté au long dans Tf/ij- significalion d'individu, toire des Berbers, t. IV de la traduction.

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