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308 PROLÉGOMÈNES

du corps. Quand les âmes s'engourdissent dans l'asservissement, et perdent l'espérance et jusqu'aux motifs d'espérer, l'esprit national s'éteint sous la domination de l'étranger, la civilisation recule, l'acti- vité qui porte aux travaux lucratifs cesse tout à fait, le peuple, brisé par l'oppression, n'a plus la force de se défendre et devient l'esclave de chaque conquérant, la proie de chaque ambitieux. Voilà le sort qu'il doit subir, soit qu'il ait fondé un empire et atteint ainsi au ternie de son progrès, soit qu'il n'ait rien accompli encore. L'état de servi- tude amène, si je ne me trompe, un autre résultat : l'homme est maître de sa personne, grâce au pouvoir que Dieu lui a délégué; s'il se laisse enlever son autorité et détourner du but élevé qui lui est posé, il s'abandonne tellement à l'insouciance et à la paresse, qu'il ne recherche pas même les moyens de satisfaire aux exigences de la faim et de la soif. C'est là un fait dont les exemples ne manquent dans aucune classe de l'espèce humaine. Un changement semblable a lieu, dit-on, chez les animaux^ carnassiers : ils ne s'accouplent point dans la captivité. Le peuple asservi continue ainsi à perdre son éner- P. 269. gie et à dépérir jusqu'à ce qu'il disparaisse du monde. Au reste l'exis- tence éternelle n'appartient qu'à Dieu seul. Considérez, par exemple, la race persane, dont la nombreuse population avait rempli un pays immense^. Lorsque la Perse eut perdu ses armées en combattant les Arabes, elle conservait encore une population énorme. On rapporte que Saad (Ibn Abi Oueccas, le général musulman), ayant ordonné le dénombrement du peuple qui habitait au delà d'El-Médaïn', apprit qu'il y avait cent trente-sept mille individus, dont trente-sept mille étaient chefs de famille. Or la race persane, ayant été vaincue par les Arabes et forcée de subir leur domination, ne se conserva que peu de temps; elle finit par disparaître sans laisser une trace de son exis- tence*. On ne saurait attribuer son anéantissement à la tyrannie du

' Pour c:>Lil^Aii, lisez i^ijl^yJi j. par le Tigre. — * Il est à peine nécessaire

' Littéral. « l'univers. » de relever tout ce qu'il y a d'inexact dans

' Il s'agit probablement de Nehr-Chehr, cette assertion, laubourg d'El-Medaïn, dont il est séparé * "•

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