Page:Ibn Khaldoun - Prolégomènes, Slane, 1863, tome I.djvu/86

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Lxxvin PROLÉGOMÈNES

le même esprit d'égarement tournait ses armes contre les titres de propriété, les contrats et les biens immeubles, j'implorai l'aide de Dieu et je travaillai à extirper ces abus, sans m'inquiéter de la haine que mon intervention devait m'atlirer.

Ensuite je m'occupai des muftis (légistes consultants) de notre rite. Ces gens avaient mis les juges aux abois par leur désobéissance et leur empressement à dicter aux plaideurs des opinions juridiques (fetoua) entièrement contraires aux jugements que ces juges venaient de prononcer. Parmi eux se trouvaient des hommes de rien, qui, après s'être arrogé le titre d'étudiants en droit et la qualité d'adel, aspiraient hardiment au rang de mufti et de professeur, bien qu'ils n'y eussent pas le moindre titre. Ils y arrivaient pourtant, sans se don- ner beaucoup de peine et sans avoir fait des études préparatoires; per- sonne n'osait les réprimander ni leur faire subir un examen de capa- cité , parce qu'ils formaient un corps redoutable par le nombre de ses membres; aussi, dans cette ville, le calam du mufti était au service de tous les plaideurs ; ils luttaient à qui en obtiendrait l'appui , afin de faire valoir leurs propres prétentions et d'assurer la défaite de leurs adversaires. Le mufti leur indiquait tous les détours de la chicane ; souvent les fetoaas se contredisaient, et, pour ajouter à la confusion, on les émettait quelquefois après le prononcé des arrêts. D'ailleurs les différences offertes par les codes des quatre rites étaient si nom- breuses, qu'à peine pouvait-on se faire rendre une bonne justice. Du reste le public était incapable d'apprécier le mérite d'un mufti ou la va- leur d'unye/oua .Bien que les flots (de ces abus) ne cessassent de monter toujours et d'entretenir le désordre , j'entrepris d'y porter remède.

Pour montrer que j'avais la ferme intention de soutenir le bon droit, je courbai l'audace d'un tas de fripons et d'ignorants, dont une partie étaient venus du Maghreb, et qui avaient ramassé, par-ci par-là, une provision de termes scientifiques au moyen desquels ils éblouis- saient les esprits; — des gens incapables de prouver qu'ils eussent étudié sous aucun maître de réputation, ou de montrer un seul ou- vrage de leur composition; — desimposteurs qui sejouaientde la bonne

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