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112 PROLEGOMENES

les Compagnons en ont fait beaucoup, ainsi que plusieurs autres mu- sulmans des premiers temps. Ce que les Soufis disent au sujet du dégagement, de la communication des vérités qui se trouvent dans les mondes supérieurs, de l'ordre dans lequel a eu lieu l'émanation des êtres, la plupart de ces renseignements rentrent dans la catégorie des (choses obscures qui se désignent par le terme) motechabeh ^ ; car c'est, de leur propre aveu, une (chose spirituelle) dont on ne peut juger que par le sens interne; or, celui qui n'a pas l'usage de ce sens est dans l'impossibilité de comprendre les goûts au moyen des- quels ils aperçoivent ces mystères. D'ailleurs, les locutions dont ils se servent ne suffisent pas pour rendre ce qu'ils veulent exprimer, p. 79. parce qu'elles n'ont été instituées que pour représenter des idées usuelles, dont la plus grande partie provenait des objets perçus par les sens extérieurs.

11 ne faut donc pas se formaliser des expressions dont ils se servent en parlant de ces matières; il faut passer là-dessus sans s'y arrêter, ainsi que cela se fait pour les termes obscurs [moicchabéh] des textes sacrés. Celui qui a obtenu de Dieu la faveur de comprendre une par- tie de ces termes en leur assignant un sens qui soit conforme à la lettre de la loi (peut dire) : « Quelle noble jouissance que celle-là! » Quanta certaines expressions dont ils se sont servis, et qui (prises à la lettre) donneraient des idées fausses, je veux parler des termes qu'ils désignent eux-mêmes par le mot chatehat (paroles en l'air), et dont l'emploi leur est vivement reproché par les docteurs de la loi, je dirai que, pour être équitable à l'égard des Soufis, il faut se rap- peler qu'ils sont des gens dont l'esprit est souvent absent du monde sensible et se laisse dominer parles sentiments surnaturels qui vien- nent se présenter à leurs cœurs. Aussi parlent-ils de ces communi- cations dans des termes qu'ils n'avaient pas l'intention d'employer. A celui qui a l'esprit absent on n'adresse pas la parole, et celui qui subit une force majeure n'est pas responsable. Le Soufi qui s'est

' Voy. ci-devant, p. 64 et suiv.

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