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Page:Inchbald - Simple histoire.djvu/125

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rappelant que dans deux heures elle verrait son tuteur, qu’elle serait seule avec lui, qu’elle lui parlerait, qu’il ne répondrait qu’à elle ; cette idée absorba toutes les autres, et elle devint indifférente à la douleur et à la colère de son amie.

Rendons pourtant justice au cœur de miss Milner ; sûrement elle ne désirait pas d’attirer M. Dorriforth dans les piéges de l’amour ; et si un pouvoir surnaturel lui en eût donné les moyens, et qu’il lui eût fait connaître, en même temps, tous les malheurs qui résulteraient de cet effet de ses charmes, elle aurait eu assez de vertu pour ne vouloir pas de cette funeste victoire ; mais, sans se demander à elle-même quel était son but, jamais elle ne devait se trouver avec lui, sans s’être occupée d’avance à rassembler tous les moyens qu’elle avait de plaire ; et, dans ce moment même, sans écouter tout ce que les yeux et la contenance de miss Woodley semblaient lui dire, elle courut à une glace pour donner à sa parure les formes qu’elle crut les plus séduisantes.

Les momens s’écoulaient et amenèrent enfin celui qu’elle avait tant désiré ; seule devant son tuteur, n’ayant personne auprès d’elle dont la présence assurât son maintien, toutes les graces qu’elle avait étudiées pour augmenter l’impression de ses charmes, son trouble les lui rendit inutiles ; elle devint une beauté naïve, n’ayant plus, au lieu des secours de l’art, que ceux de la franchise et de la raison. Ainsi forcée par un ascendant irrésistible à n’être que ce qu’elle était réellement, peut-être ne fut-elle jamais plus dangereuse que dans ces momens de timidité, de respect et d’embarras.

Dans ces sortes d’entretiens, M. Dorriforth avait toujours remarqué en elle ce respect et même cet embarras. Aussi, des deux côtés ne se prononçait-il jamais alors un seul mot d’aigreur ou de reproche.