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lugubres, ruisselants comme des chevelures de naïades. Mais ils eurent à peine un regard pour ce décor naguère si riant. Maussades, transis, ne rêvant plus que de pantoufles sèches et de bûches en brasier, ils se précipitèrent à l’intérieur.

Là, c’était lamentable. Dans la salle à manger, aux murs tapissés d’un vert acide, cruel, agaçant, un petit poêle en fonte, déshabitué de son service, fumait avec constance et sérénité. Dans la cuisine, la belle cuisine aux cuivres rutilants entrevue l’autre jour, un enfant au maillot braillait sans fin, avec les cris perçants d’un cochon qu’on égorge. La nuit tombait, lourde et prématurée, du ciel implacablement gris. Leurs couverts étaient déjà dressés, face à face, au centre d’une table pour vingt convives, sur une toile cirée dont les lavages innombrables avaient effacé les vignettes, en respectant toutefois les rondelles vineuses tracées par des culs de verres poissés. Au-dessus de leurs têtes, une suspension en zinc débronzé puait beaucoup, n’éclairait guère, et laissait suinter dans les plats les larmes de son pétrole. Ils espéraient au moins être servis par une bonne grosse paysanne saine et réjouie. Ce fut une petite vieille au teint jaune, aux cheveux d’un blanc verdâtre, serrée dans un caraco noir qu’attachaient sur sa poitrine plate d’invraisemblables boutons bruns, si gros qu’ils semblaient enlevés aux tiroirs d’un lavabo. Elle les servit avec une aigre obséquiosité, où perçaient l’envie et la malveillance, expliquant d’une voix pointue et inlassable, sans leur laisser le temps de placer un mot, qu’elle était de Paris, elle aussi, qu’elle avait été jeune et courtisée, elle aussi, qu’elle aurait pu avoir des rentes, elle aussi, et commander aux autres au lieu de les servir, si la justice ne lui avait fait des saletés dans son