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métier de sage-femme. Ce titre, fièrement évoqué par la petite vieille, acheva de les dégoûter du repas mal cuit qu’elle leur servait de ses mains étroites et longues, et qu’ils chipotèrent dans leurs assiettes, sans presque y toucher. La vieille parlait, inlassable et criarde ; la pluie grésillait aux vitres, têtue, interminable, désespérante. Ils ne se disaient rien, ils n’osaient même plus se regarder, anéantis, désolés, sans résistance et sans courage contre le mauvais sort, l’esprit harassé, engourdi, mal à l’aise. Et il leur semblait qu’ils allaient s’endormir, sous cette douche d’ennui, du sommeil pesant et angoissé de ceux qu’on chloroforme avant de leur couper la jambe.

Le dessert était à peine posé sur la table quand elle se leva, comme si on venait de lui faire un signe de délivrance, de lui accorder une permission longtemps attendue. Elle demanda d’une voix brève :

— Voulez-vous nous indiquer notre chambre, s’il vous plaît ?

Ayant allumé une bougie, la vieille reprise de justice les conduisit, avec des mines scandalisées, pleines de muette réprobation.

Et ils se trouvèrent seuls, enfin seuls, dans une chambre immense et trop sobrement meublée. La flamme tremblante de la bougie agitait leurs ombres sur les murs, comme des fantômes gigantesques et menaçants. Des coins obscurs, où l’on ne distinguait rien, faisaient penser à des choses hostiles ou répugnantes : assassins, voyeurs, champignons, araignées… L’atmosphère était froide, humide, molle, et sentait le moisi. Dès le seuil franchi, elle s’arrêta, n’osant aller plus loin. Et il la vit si piteuse, si désillusionnée, si désespérée, qu’il sentit le besoin de faire un grand effort pour triompher de sa propre tristesse, vaincre