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Page:Ista - Contes & nouvelles, tome III, 1917.djvu/17

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Ils riaient, parlaient en même temps, pressés de conter leurs succès, les beaux rôles créés, les femmes du monde subjuguées.

— Alors, ça marche ? — À merveille, mon cher. Et toi ? — On ne peut mieux. Je suis rengagé pour l’hiver prochain, avec deux cents francs d’augmentation par mois. — Tu as signé ? — Pas encore, mais c’est comme si c’était fait. — Moi, on me propose le Théâtre Michel, à Saint-Pétersbourg. Je me tâte. Ils veulent m’avoir à tout prix, mais si je me décide, ce sera en échange de la forte somme.

Quand ils passaient devant les cafés et les restaurants, leur allure se ralentissait un peu. Du coin de l’œil, Carmery guignait Lamollière. Lamollière guignait Carmery, du coin de l’œil. Mais tous deux continuaient à parler de théâtre, pas d’autre chose, et ils passaient, sans entrer.

Ils remontèrent tout le boulevard, puis le redescendirent. Leur enthousiasme tombait peu à peu. Entre eux, il y avait maintenant de petits silences, pendant lesquels chacun semblait réfléchir. Les regards ailleurs, l’air très indifférent, Lamollière demanda : Où dînes-tu ? — Je ne sais pas, dit l’autre, n’importe où. — Et ils se remirent à parler théâtre, engagements somptueux et bonnes fortunes inouïes. Dix minutes plus tard, Lamollière risqua : Tu es en fonds ? — Pas trop… Tu comprends, mon vieux, la morte saison… — Tu n’as pas deux louis à me prêter ? — Tu es rigolo, dit l’autre, j’allais t’en demander un.

Ils marchèrent en silence, puis Lamollière demanda de nouveau : Où dînes-tu ? — Je ne sais pas, répéta Carmery, je ne suis pas pressé. — Tu ne comptes pas inviter quelques amis ? — Farceur ! je préférerais être invité par un ami, ça m’irait beaucoup mieux.