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Ils reprirent leur marche silencieuse, puis Carmery demanda à son tour : Et toi, où dînes-tu ? — L’autre hésita un peu : Chez moi, dit-il enfin. Tu comprends, je fais ma popote moi-même. C’est plus économique. — Tu demeures loin d’ici ? — Lamollière hésita encore, puis, avec un geste vague : Non, pas très loin. — je vais te conduire jusque-là. — Mais non, mon vieux, ne prends pas cette peine. — Mais si ! je ne suis pas pressé. On ne va pas se quitter comme ça !

Et Carmery s’accrocha au bras de son camarade, résolument, solidement.

Ils marchèrent encore, par des rues. Carmery parlait seul, avec une extrême abondance, rappelant les bonnes parties faites ensemble à Bordeaux, pendant tout un hiver : On était des copains, pas vrai ! De vrais copains ! Un jour, je t’ai prêté cent sous. Tu te rappelles ? — Lamollière répondait sans enthousiasme : Mais oui, je me rappelle…

Il s’arrêta soudain devant une allée, essaya de dégager son bras, et dit, la main déjà offerte : Mon cher, je suis arrivé. Merci de m’avoir accompagné jusqu’ici. Au plaisir de te revoir. — Mais l’autre ne le lâchait pas, et prononça d’une voix très basse, où l’on sentait pourtant une résolution inébranlable : Je ne te quitte pas, je monte avec toi.

Il y eut un long silence, lourd et chargé de contrainte. Puis Lamollière regarda son compagnon droit dans les yeux, de pauvres yeux qui vacillèrent un instant, guetteurs et anxieux, puis se baissèrent humblement.

— Viens ! dit Lamollière. Et ils pénétrèrent dans l’allée.