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Celui-ci s’était assis sur une marche, tranquillement, à côté du bec de gaz fixé dans le limon de la rampe. Carmery vit le gaz s’allumer, puis le poêlon passer entre deux barreaux et se poser sur la flamme. Il eut un petit rire et murmura : « Fameux ! » puis se remit à faire le guet.

Le temps lui sembla long. Enfin, la lumière s’éteignit, et, sans avoir besoin d’un autre signal, il remonta et regagna la chambre.

— Ça sent rudement bon, dit-il en reniflant.

— Il y a une cuillère et une fourchette dans la malle noire, interrompit Lamollière. Veux-tu les prendre ?

L’autre se précipita, heureux de rendre service, ouvrit la malle, et s’y engouffra tout le haut du corps.

— Nom de Dieu ! hurla Lamollière.

Carmery sortit de la malle, fit entendre un « Oh ! » douloureux, puis tomba assis sur le lit, les jambes coupées. Le camarade était debout, immobile, ahuri, tenant encore en main la queue du poêlon, dont les morceaux baignaient, à ses pieds, dans la cuvette pleine d’une sauce dégoûtante où le riz aux blancheurs crémeuses se mélangeait doucement à la mousse grisâtre de l’eau de savon.

« Oh ! » répéta Carmery… Lamollière s’assit sur l’autre malle. La queue du poêlon roula par terre, avec un bruit mat, et ils restèrent là, silencieux, pendant bien longtemps, regardant le crépuscule descendre, emplir la chambre miséreuse d’ombre et de tristesse.

Enfin, Carmery se leva et prit son chapeau qu’il avait posé sur le lit.

— Je m’en vais, dit-il à voix basse, presque timidement… Il faut bien que j’aille chercher ailleurs…