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La guigne


Le corps de Jean Travers était allongé sur son lit, rigide et immobile. La main droite se crispait encore sur un revolver et la tempe s’étoilait d’une affreuse tache noire, d’où coulait une longue traînée rougeâtre.

Louisette rentra, un filet plein de provisions à la main. Devant le hideux spectacle, elle resta un instant immobile, les bras tombés le long du corps, puis clama soudain :

— Espèce d’idiot ! Si tu crois que ça prend !

Jean Travers ouvrit les yeux, s’accouda sur l’oreiller, et répondit d’une voix maussade :

— Il n’y a jamais moyen de rigoler avec toi !

Mais, ayant avisé la pendule qui tictaquait dans un coin, il bondit de sa couche, battit deux ou trois entrechats, esquissa avec les pans de sa chemise une imitation imparfaite de la Loïe Fuller, puis déclara :

— Onze heures du matin ! Arrachons-nous prématurément aux bras de Morphée !

— T’es malade ? demanda Louisette.

Jean Travers enfilait sa culotte, tout en louchant de façon affreuse devant un petit bout de miroir.

— Je ne louche plus si bien qu’autrefois, dit-il, mon talent s’affaiblit. Mais je ne suis pas malade, ne tremble pas, ô mon illégitime et fidèle compagne. Si je me lève à des heures indues, c’est que je suis,