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réparer leur petite maison, dont ils étaient propriétaires. Or, depuis que le mari gagnait trois mille six cents francs, ils en économisaient douze cents chaque année, réglant leurs dépenses sur ce chiffre immuable. Ces six cents francs de réparations ayant bouleversé leur budget, ils avaient rogné, pendant deux ans, sur leurs dépenses déjà bien minimes, pour reconstituer la somme perdue, remettre les choses au point où elles auraient dû être, s’il ne s’était rien passé d’extraordinaire.

Le jour où ils y parvinrent, le mari conta victorieusement la chose au bureau. Quelqu’un demanda :

— Avez-vous des héritiers, Monsieur Boron ?

— Non, répondit-il, ni ma femme ni moi ne nous connaissons plus de parents.

Et il se remit à tourner son bâton d’encre de Chine dans un godet. Rien ne permit de soupçonner qu’il eût vu quelque rapport entre cette question et l’histoire de ses économies reconstituées avec tant de peine.

* * *

Un hiver, Madame Boron tomba malade et fut emportée en quelques jours par une pneumonie.

Le mari suivit son cercueil, sans larmes, d’un air hébété. Aux phrases de consolation, aux compliments de condoléance, il répondait doucement : « C’est incroyable…, c’est incroyable… » Ou bien il ne répondait rien, regardant les gens d’un air ahuri, comme s’il ne comprenait pas ce qui était arrivé.

Il engagea une vieille femme pour faire son ménage, mais on sut bientôt qu’il s’était réservé la tâche d’éplucher, comme autrefois, les pommes de terre de son dîner. Du reste, il ne changea rien à sa vie,