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rentrant directement chez lui, après le bureau, pour s’asseoir au coin de la cheminée de la cuisine, en frottant lentement ses grosses mains sur ses maigres cuisses. Le dimanche, il allait à la messe, puis s’asseyait dans un des fauteuils du salon, devant la fenêtre, et passait la journée à regarder une branche d’arbre se balancer sous le vent, ou un filet de fumée monter vers le ciel.

Il ne semblait avoir ni regret ni chagrin. Pourtant, on constata bientôt qu’il maigrissait et devenait de plus en plus faible.

Un jour, il ne put se lever. La femme de ménage alla chercher un docteur, et prévint ses collègues, dont quelques-uns lui firent en groupe une visite de politesse. Il les regarda à peine, ne prononça que quelques paroles indifférentes, d’un ton calme pourtant, sans qu’on pût savoir si cette démarche lui faisait plaisir ou l’importunait.

Les employés décidèrent qu’il était complètement gaga, et nul d’entre eux ne retourna le voir.

Monsieur Boron s’affaiblissait de plus en plus. Un jour, le médecin, en lui faisant sa visite habituelle, constata qu’il délirait, balbutiant des phrases incohérentes. Il pencha son oreille sur la bouche du malade, et parvint à saisir ces mots : « …bien pointu, …bien aiguisé, …c’est ce qu’il y a de mieux… »

Le docteur dit à la femme de ménage que la fin était proche. La vieille s’arrangea pour passer la nuit auprès de son maître. Elle monta dans la chambre un des fauteuils du salon, et fit tous ses préparatifs pour veiller jusqu’au matin. Mais, à peine installée, elle s’endormit et ne s’éveilla qu’au grand jour.

Monsieur Boron était mort, et déjà tout froid.