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Le Grand Joseph


Joseph Bolzée, dit le Grand Joseph, était le forgeron du village. Il avait une grande barbe rousse, dont il était un peu fier, sans oser le laisser voir, et des yeux gris et ternes, où nulle lumière ne se reflétait. Il était grand, très fort et très doux, et se mouvait lentement, sans jamais se presser, quoi qu’il advînt. On disait, au village, qu’il était un peu simple, et sa femme le déclarait complètement idiot.

Du lundi matin au samedi soir, dans le clair-obscur de sa forge, le Grand Joseph tapait sur le fer rouge, réparait le soc des charrues et les dents des herses, sans s’arrêter jamais. Le dimanche, ayant enfilé une blouse propre, il allait se promener dans la plaine, tout seul, de son grand pas lourd et traînant, en songeant à des choses calmes et vagues. Il regardait les larges champs de blé ou d’avoine, et pensait avec satisfaction qu’il y avait là de quoi manger pour tout le monde, pour les hommes et pour les bêtes. Puis, quand il était fatigué de marcher, il allait voir jouer aux quilles devant le cabaret du vieux Gaspard. Jusqu’à la nuit tombante, il suivait des yeux la course monotone du boulet roulant dans la cendrée, puis rentrait pour manger et se coucher. Et il éprouvait un vague plaisir en pensant que le lendemain, dès