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Page:Ista - Contes & nouvelles, tome III, 1917.djvu/72

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la main d’une jeune fille ; des rois et des généraux, tout couverts de dorures, qui chantaient des choses comiques, et des hommes qui faisaient des tours, tout en haut, tout en haut, contre le plafond, dans des maisons aussi hautes que le clocher de l’église.

Le Grand Joseph ne comprenait pas toujours très bien, mais il pensait que cela devait être bien beau. Et il rêvait surtout, avec un grand trouble et un grand désir, à des choses que le cocher racontait encore, à ces troupeaux de belles femmes, trente ou quarante à la fois, qui mettaient de si petites robes qu’on voyait leurs bras et leurs jambes, et qui chantaient des chansons, toutes ensemble, ou dansaient au son de la musique, en se tenant debout sur la pointe du pied.

Au commencement, le forgeron n’avait pensé à cela que comme à des choses lointaines, inaccessibles et intangibles, ainsi que les figures qui passent dans les rêves. Puis il en vint à se dire que l’instituteur et sa femme, le gros fermier Poulette, le petit Louis, le fils Faverolle, d’autres encore, allaient bien passer des soirées à la ville, rentrant chez eux par l’express dont le sifflet aigu l’éveillait parfois, passé minuit. Et il conçut cette idée, peu à peu, que ce n’était pas une entreprise absolument irréalisable, qu’il pouvait, comme ceux de la ville, aller voir les hommes qui se battent et qui font des tours, les belles femmes qui dansent et qui chantent en laissant voir leurs jambes et leurs bras.

Mais le Grand Joseph avait des timidités insurmontables. Il parlait et agissait peu parce qu’il craignait toujours qu’on se moquât de lui. Et il sentit de suite que s’il lui était possible, en principe, de prendre le train, d’aller là-bas, au théâtre, de faire cette chose extraordinaire, c’est parce qu’il n’agirait que devant