Page:Ista - Contes & nouvelles, tome III, 1917.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de taches rouges et de lignes bleues, sommée d’une chevelure invraisemblablement rousse. Le Grand Joseph tendit son billet en répétant « C’est-y bien ici ? » « C’est la scène, ici, espèce d’imbécile ! » dit une voix furieuse. « Pourtant, insista le forgeron, c’est un monsieur qui m’a dit… » Mais l’autre ne le laissa pas finir. Un mot vibra, dans le couloir silencieux, un mot qui porte bonheur, paraît-il, et qui devient héroïque sur les champs de bataille. Puis la porte se referma violemment.

Alors, un calvaire douloureux commença pour le pauvre Joseph, abruti et désemparé. Il ouvrit des portes donnant sur des précipices où plongeaient les montants d’une échelle de fer. Il enfila des corridors qui ne conduisaient nulle part. Il demanda son chemin à des gens qui lui rirent au nez, à d’autres qui le mirent encore sur la mauvaise route quand il était sur la bonne. Il monta des escaliers, en descendit d’autres, faillit toucher au but en parvenant au couloir des troisièmes loges de gauche, apprit qu’il devait aller à droite, crut qu’il fallait redescendre pour faire le tour, et ne revit jamais ces inaccessibles loges de troisième rang.

Il erra longtemps, longtemps, au hasard, n’osant plus rien demander à personne, par les couloirs et les escaliers déserts, aux sons d’une musique lointaine qui lui arrivait par bouffées. Finalement, au bout d’un escalier qu’il descendait, il se heurta à une porte, l’ouvrit, et se trouva dans une rue déserte, dont le pavé luisait, mouillé par une pluie fine et glacée. Alors, il comprit que c’était fini, bien fini, qu’il n’était pas assez malin pour aller au théâtre, et que ce plaisir était réservé à d’autres que lui. Calme et résigné, un peu satisfait au fond d’être au bout de