Page:Istrati - Kyra Kyralina.djvu/76

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bler ; mais, mes braves amis, le sort de l’homme est écrit à l’avance. Le lendemain, matinée radieuse d’hiver calme… La neige, épaisse de trois empans, couvrait le monde de son linceul immaculé et les clochettes des traîneaux, qui volaient en tous sens, emplissaient l’air de leur sonnerie nostalgique. Je restais à la fenêtre et il me semblait que les murs s’écroulaient sur moi. Je m’affolai !… Une force irrésistible m’appelait dehors, vers ce dehors qui est le mouvement, la vie, l’impétueux mystère de la libre existence que je ne connaissais plus depuis presque une année. Je me jetai aux pieds de ma femme et la suppliai de me laisser sortir une heure, une demi-heure, cinq minutes, hors des murs, des toits, de la misère !…

« Elle m’écouta et m’en donna la permission, me conseillant de prendre mon stylet et les deux pistolets, et me recommandant de ne me laisser aborder par personne. Je lui embrassai les babouches, pris ma fourrure, mon bonnet d’Astrakhan, et descendis au magasin.

« Ah, ce fut ma perte et celle de la pauvre Tincoutza !… Ce fut notre perte sans l’être tout de suite, car rien ne m’arriva, cette matinée-là, et rien non plus pendant mes sorties de l’après-midi et du lendemain ;