Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/127

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Elle monologuait à mi-voix :

— Oui, oui…, les agents japonais sont aussi fourbes, aussi dangereux que le Crâne lui-même… Mais il m’a ordonné de regagner ma tribu… Trop d’yeux sont ouverts à son service pour lui désobéir. Ce serait le mettre sur ses gardes… Tandis que les Japonais… Diviser, c’est régner… Il le faut, il le faut, bien que mon cœur saigne… Allons, Lilian, vais-je vous envoyer à la mort en cherchant à désarmer celui qui n’a pas voulu, qui ne voudrait pas que vous viviez ?

Un instant, elle demeura silencieuse, absorbée.

Puis son long manteau put un flottement brusque.

On eût dit que tout son être s’était raidi dans l’âpreté d’une détermination suprême.

Et avec une énergie contenue, elle gronda :

— Il le faut. Il faut qu’on les conduise là-bas… Là-bas où ma puissance peut contrebalancer la sienne.

Elle s’interrompt soudain, les yeux fixés sur une jeune femme qui vient d’apparaître à l’angle de la Septième Rue.

La nouvelle venue est étrange et charmante.

Son visage d’un ton d’ambre pâle, ses yeux noirs très légèrement bridés, ses lèvres purpurines, son nez délicat, offrent cet ensemble irrégulier et joli que l’on rencontre chez certaines Chinoises du Nord.

Et avec cela, sa taille svelte, qui a des souplesses serpentines, s’emprisonne dans un costume tailleur dont l’élégance trahit une origine parisienne.

— C’est Hiang-Tchil, murmure la femme au manteau, c’est elle qui sera l’instrument en ma main.

La Chinoise, son nom indique sa nationalité, s’avance souriante, minaudière. On la prendrait pour une coquette uniquement préoccupée de l’effet admiratif qu’elle peut produire sur les passants.

Elle arrive auprès de celle qui l’attend sans doute, car elle s’arrête, fait un joli petit salut, menu et maniéré, puis d’une voix douce, avec une ironie indéfinissable :

— Vous le voyez, chère madame, Rouge-Fleur (traduction littérale de Hiang-Tchil) s’est empressée de se rendre à votre appel. Sans un embarras de tramways, j’aurais eu le plaisir d’arriver la première au rendez-vous, ce qui eût été plus convenable, je le déclare.

Son Interlocutrice l’a écoutée sans faire un geste. Elle l’interrompt :

— Ne nous perdons pas en compliments inutiles. Je