Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/177

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Là, sur deux chaises de jardin, Lilian et Grace attendaient, causant à demi voix, avec des gestes inconscients d’impatience. Elles se levèrent précipitamment à sa vue.

Et Lilian, en hâte, trahissant ainsi la pensée qui l’obsède :

— La fleur, la fleur de l’aloès chiriquite, Jud… Que signifie ce tatouage que, moi aussi, je porte au bras.

Elle lui a pris les mains, mais il se dégage doucement.

— Miss Lilian, souvenez-vous de la promesse de votre serviteur.

— Serviteur, répéta-t-elle mutine… Pourquoi prendre sans cesse ce titre impossible ?

— Parce que seul il convient. Mais laissons cela, je vous en prie. Ce matin, je vous ai dit : « Après la séance du Sénat, miss, je vous remettrai le journal de votre existence… Vous y verrez que Jud Allan ne saurait être plus que votre serviteur. »

Il lui tendit quelques feuillets de papier couverts d’une écriture fine et serrée.

— Voici ce journal, miss.

— Oh ! il ne changera rien à mes sentiments, Allan, je vous en préviens !

Elle s’arrêta. Il avait un sourire si désespéré qu’elle eut peur ; mais il coupa les phrases prêtes à jaillir de ses lèvres.

— Lisez d’abord, lisez.

Et s’adressant à Grace Paterson qui, muette et médusée, assistait à cet entretien incompréhensible pour elle :

— Miss Grace, c’est une prière que vous entendez. Retournez chez miss Deffling avec votre amie. Aidez-la à comprendre la voix de la raison… Vous avez plus qu’elle l’expérience de la société, de ses préjugés, et aussi de ses appréciations justes.

Il s’arrêta un instant, comme si l’haleine lui manquait. Mais il domina son émotion, et acheva avec une douce fermeté :

— Apprenez-lui comment pense le monde ; hélas ! Je ne pouvais, moi, lui donner cette science si nécessaire de la vie sociale. Apprenez-lui ce que l’on doit à certaines situations, ce que l’on se doit à soi-même… Qu’une obstination d’enfant ne ternisse pas un dévoué…

— Ternir ! balbutia Lilian, stupéfiée par le mot inattendu.