Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/26

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Comtesse ! le mot sonna en cloche dans le crâne de Chazelet. Est-ce que décidément, la gitana était douée d’une lucidité inexplicable ?

Mais il voulait savoir… Il reprit :

— Vous savez son nom ?

— Ah ! señor, qui pourrait ignorer le nom de pareille madone ?

— Et ce nom, c’est… ?

— Linérès.

Le mot tomba dans l’entendement du jeune homme avec une harmonie cristalline.

Linérès ! Il lui sembla qu’il eût été impossible d’imaginer une autre appellation pour la charmante inconnue, si étrangement entrée dans sa vie.

— La señorita Linérès de Armencita, continua Olinda.

— De Armencita, redit Pierre, une noble et riche famille ?

Son interlocutrice eut un haussement d’épaules.

— Noble, oui, et parmi les plus nobles d’Espagne ; mais riche, c’est autre chose.

— Ah !

Cette exclamation de Chazelet exprimait la satisfaction. Il lui plaisait que la prédiction de la bohémienne se trouvât en défaut sur ce point. Mais presque aussitôt, il esquissa un geste dépité. En toute conscience, il devait reconnaître que Ramrah ne lui avait rien affirmé quant à la fortune de la belle inconnue.

— Sur quoi vous basez-vous pour la croire pauvre ?

— Sur ce que tout le pays vous répondra comme moi, señor. La maman et la jeune fille habitent leur vieux château, aux trois quarts ruiné… Quelques pièces de terre, que cultive un vieux serviteur, Fabricio qu’il s’appelle… un petit troupeau de chèvres que garde une fillette du pays, la Lourença… Et c’est tout. Allez, allez, on vit chichement, à Armencita, et depuis trois années, la sainte belle Linérès vient à la fête de Béjar avec la même robe… ce que ne feraient pas les plus pauvres gens des villages.

L’argument était probant.

Chazelet en ressentit un plaisir dont il s’étonna lui-même. Est-ce que cette enfant, ignorée quelques heures plus tôt, cette jolie personne à lui présentée de façon si bizarre, occupait déjà une place importante dans son esprit, qu’il se réjouit d’apprendre sa situation de fortune si conforme à la sienne propre ?