Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/282

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vanité féroce, insupportable, auprès de laquelle la morgue hautaine de certains gentilshommes remontant aux croisades n’est que pure bonne grâce.

Un fait se produisait, soulignant la vanité niaise des parvenus.

L’entrée principale de l’hôtel de Frey Jemkins s’ouvrait sur l’avenue Pensylvania. Aucun des invités ne permettait à sa voiture de stationner en dehors de cette voie. Pour ces esprits singulièrement étroits, il semblait qu’un véhicule attendant dans une rue latérale eût diminué le prestige du propriétaire.

Aussi, tandis que Pensylvania s’encombrait à plaisir, la rue de la Bibliothèque du Congrès, bordant l’autre façade de l’hôtel, demeurait déserte, et offrait toute facilité aux rares piétons que leurs affaires ou leurs plaisirs conduisaient aux abords du logis du riche Jemkins.

Dès longtemps, avec tout l’élément intelligent de la grande République, Jud avait déploré ces mœurs saugrenues des milliardaires. Elles n’étaient plus pour le surprendre.

Il était entré comme les autres. Comme les autres, il avait gardé son chapeau claque à la main. De salon en salon, il passait, s’attendant à chaque instant à se trouver en face de Frey Jemkins, prêt à soutenir l’entrevue sans broncher.

À plusieurs reprises, Jud l’avait aperçu, pérorant de sa voix puissante et joviale au milieu des groupes. Il avait tenté de le joindre ; mais par une série de hasards malheureux, il s’était chaque fois vu arrêté en route, du fait de curieux, d’invités, de promeneurs nonchalants devisant de choses indifférentes.

Sans qu’il s’en doutât, Jud était le centre d’un cercle de surveillants, qui observaient chacun de ses mouvements avec une singulière sollicitude.

En dehors des salons, le buffet avait été installé dans la cage même de l’escalier monumental reliant le rez-de-chaussée aux étages supérieurs.

Des tentures pourpre et or voilaient la rampe ouvragée, les degrés recouverts de moelleux tapis, et transformaient le refreshmentroom en une salle, dont la seule issue apparente s’ouvrait sur les salons.

Distraitement, Allan était parvenu en cet endroit. Des invités affamés, comme il s’en trouve dans toute réunion de ce genre, se bousculaient devant le buffet, où des laquais à la livrée de la maison servaient les boissons les plus variées, les mixtures les plus incendiaires.