Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/33

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ble, où de grands corbeaux tournoyaient, vrillant dans l’air leur lugubre croassement.

La tristesse des choses mortes imprégnait Pierre.

Pourtant, il allait toujours, contraint par les éboulements à d’incessants détours. Il allait, comme s’il cherchait une piste, une trace. Il obéissait à une de ces impulsions obscure, d’origine inconnue, à la tyrannie desquelles il est impossible de résister.

Un cri étouffé lui échappa en pénétrant dans une seconde cour. Au pied d’un donjon octogonal, dont toute la partie supérieure s’était écroulée, une sorte de grande cabane, grossièrement construite, s’élevait.

Les fenêtres avaient des vitres, en arrière desquelles se distinguaient les rideaux jaunis.

Sans hésiter, Chazelet comprit que dans cette maisonnette moderne, vivante au milieu de l’antique manoir défunt, Linérès et sa mère avaient caché fièrement leur misère.

Des pierres du palais était née la chaumière. Descendantes ruinées des grands Comtes de Armencita, la mère et sa fille avaient coulé leurs jours sous cet abri réduit, avec des ressources restreintes.

D’un geste inconscient le jeune homme tira de sa poche la plaquette de la bohémienne. Il lui sourit et prononça doucement :

— Je vous comprends, señorita. Vos beaux yeux sont rieurs, vos lèvres disent la mélancolie. Vos yeux sont votre jeunesse ; vos lèvres sont tout ceci !

Il avait étendu le bras, entourant d’un cercle imaginaire toutes les tristesses de ce présent, enclos dans ce passé.

Et puis, presque tremblant d’un émoi inexplicable, il marcha vers la cabane ; à travers les vitres, il essaya de voir à l’intérieur, mais les rideaux arrêtèrent sa vue.

En se portant de fenêtre en fenêtre, il arriva devant la porte. Pas de serrure, un loquet.

Ce simple détail est éloquent… La serrure est la précaution de qui possède ; le loquet est la confiance de qui n’a rien.

Était-ce rapprochement avec sa situation présente, mais Chazelet se sentait de plus en plus captivé par la jeune fille dont l’existence lui était révélée par les détails de son excursion.

Il avait soif de la connaître davantage, et il ne songeait même pas à l’indiscrétion de son acte, lorsqu’il fit basculer le loquet et ouvrit la porte.