Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celles, un éclatement, un nuage de fumée, puis une ruée, une bousculade, des cris effarés.

— Le feu ! le feu !

Les jeunes gens sont séparés, entraînés par des courants humains. Affolé, étourdi, Pierre se trouve transporté à vingt pas de là.

Il réussit à se dégager, fait volte-face. Il va courir au secours de l’inconnue qui s’est substituée à Linérès.

Et il s’arrête bouche bée, son élan brisé par ce qu’il voit. Celle qu’il cherche est devant lui, très calme d’attitude. Le rebos empêche de distinguer ses traits, mais sa personne exprime la tranquillité.

Délibérément, elle reprend le bras de Chazelet et le contraint à continuer la promenade.

La fastidieuse cérémonie est sur le point de s’achever. L’hacienda dressa sa façade claire à cent mètres à peine.

Les fiancés accélèrent leur allure. Ils contournent le pavillon d’angle de l’hacienda ; ils traversent la cour qualifiée pompeusement de cour d’honneur. Ils parviennent à l’entrée principale.

Des peones sont là, disposés sur deux rangs, la carabine à l’épaule, le canon pointant vers le ciel.

Et quand les jeunes gens passent au milieu d’eux, une salve retentit, stridente, couvrant un instant les échos de la fête. C’est sous un dais de fumée bleuâtre que les fiancés pénètrent dans l’hacienda.

Ils se laissent conduire dans le grand salon.

Là, derrière une large table couverte d’un tapis de velours pourpre aux franges d’or, l’escribano (le notaire) se tient calme et grave.

Il est étrange, ce notaire métis, au teint olivâtre, licencié légiste de la faculté de Mexico, avec son habit noir, sa culotte serrée au genou, ses bas de soie et ses souliers à boucles d’argent.

Il a l’uniforme d’un tabellion du dix-huitième siècle. Cette modo surannée est encore obligatoire en dehors des grandes villes, et le señor Vedinaos sait bien qu’aucun haciendero ne prendrait au sérieux un acte signé par lui sous un autre costume.

À droite et à gauche de son fauteuil, se voient deux sièges inoccupés. Vedinaos les désigne aux fiancés.

Ils vont obéir à ce geste, mais Chazelet retient la main de sa compagne.

Dans le salon, éclairé par des myriades de bougies roses, il a la perception précise que ce n’est plus celle qui tout à l’heure s’est substituée à Linérès.