pénétrions dans le château de Rochegaule, sans être vus de personne. Pour toi, pope, Mirel te conduira à la cave et te laissera en tête à tête avec les fûts et bouteilles.
D’un ton pénétré, le Russe murmura :
— Il n’y a pas de meilleure société.
Brusquement il se pencha vers l’arbre auquel il tenait ce discours.
— Hein ? Tu dis ?… Parfaitement, j’ai compris… il y aura des victimes… Tu penses bien, une cave de gentilhomme contient du noble vin… et je compte lui marquer mon estime… à tout seigneur, tout honneur.
L’ivrogne se secoua :
— Seulement pour boire, il faut marcher… On m’offrait bien un cheval… mais je crains le cheval… ; c’est un animal imparfait… jamais je n’ai pu en rencontrer un qui trotte droit… ils trottent tous de travers… comme les crabes… Du reste qu’attendre d’une bête qui absorbe de l’eau à seaux… évidemment elle ne peut pas être solide sur ses jambes. Aqua est stultitia non virtus… oui, Messieurs, aquatiques hérétiques, je le maintiens du haut de cette chaire auguste : Stultitia, non virtus… Notre Seigneur lui-même a voulu vous indiquer la transmutation, but de la création de l’homme. Aux noces de Cana, il transforma l’eau en vin, vinum… et la Bible, ce livre saint, n’enseigne-t-il pas l’amour du vin, le respect de l’être qui contient beaucoup du précieux breuvage. Noë était ivre et dormait nu, non vestitus, et ses fils le plaisantant furent punis… Maledictio Domini.
Mais tendant les poings à d’invisibles adversaires :
— Au surplus, je vous abandonne à votre hérésie… je vais à la Croix des Cosaques.
Pesamment Ivan Platzov poursuivit son chemin.
Depuis le matin, l’avant-garde du corps russe de Landskoï avait occupé Saint-Dizier, et le pope circulait comme en pays conquis avec sa casaque aux larges manches, sa robe poussiéreuse et sa mitre de soie. Ce prêtre de l’église orthodoxe grecque allait sur la route, aussi paisiblement qu’en sa lointaine patrie, alors qu’il portait d’isba en isba, son ivresse et les consolations de sa religion.
Du reste son allure n’avait rien de conquérant, et quand de pauvres gens, fuyant l’invasion, le dépassaient, fouaillant des chevaux essoufflés qui tiraient des voitures, des charrettes sur lesquelles s’empilaient meubles, matelas, portraits de famille, etc., le pope les saluait d’un amical et retentissant :
— Pax vobiscum.