— Il ne s’agit pas de cela…
— Je te comprends… l’heure est venue de me conduire aux caves de Rochegaule.
— Il n’y a plus de caves.
Ces mots produisirent sur l’ivrogne l’effet d’une douche. D’un saut de carpe, il se mit sur son séant et, la face bouleversée :
— Plus de caves… que dis-tu, chevalier de Mirel, chevalier de mon cœur ?
— Je ne suis plus chevalier.
Les yeux du pope s’écarquillèrent :
— Mon repos a-t-il été si long que de pareilles transformations aient pu s’accomplir ! Voyons, chevalier…
— Plus de chevalier,… je m’appelle Espérat, et, sur mon honneur, je vous brûle la cervelle si vous ne répondez pas à mes questions.
Ce disant, il braquait son pistolet sur le pope.
Ivan était certainement brave, car il ne sourcilla pas :
— Les cris ne sont pas un raisonnement — Imprecatio non est ratio… Souviens-toi, Espérat, puisque ainsi tu prétends te nommer, que la volonté de l’homme est invincible et que celui qui frappe par l’épée, périra par l’épée.
— Je n’ai pas d’épée…
— Mais un pistolet, res cadem, chose semblable… ; toutefois tu pourrais arguer de ton ignorance pour éviter la punition, je parlerai donc, non par crainte, mais par charité, Caritas, filia Domini carissima.
— Peu m’importe, répliqua le jeune garçon qui trépignait d’impatience, répondez… Où le vicomte d’Artin est-il descendu à Saint-Dizier ?
— Ton frère ?…
— D’Artin n’est pas mon frère.
L’ivrogne se prit le crâne à deux mains :
— Non plus !… Décidément, j’ai, comme le Grec célèbre, dormi pendant plusieurs années.
Et avec un émoi qui démontrait le trouble de ses idées :
— L’Empereur règne-t-il toujours ?
La question exaspéra Milhuitcent :
— Oui, il règne, et il régnera malgré les misérables qui veulent le renverser.
— Ah oui !… Alexandre, mon maître…
— Et vous, vous, espion.
Dans la main du jeune homme, le pistolet tremblait d’inquiétante façon.