Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/189

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Quand elle eut achevé, il resta immobile, muet.

— Voyons, j’implore Votre Majesté, continua Lucile d’une voix plus haute. Qu’elle me déclare, sur son honneur de gentilhomme, qu’elle aurait acquiescé à la demande, et je consens au mariage que l’on me propose.

Le Czar courba le front. Et elle d’un ton triomphant :

— Ah ! vous le voyez, Sire… Vous êtes loyal et bon, vous n’osez pas me conseiller cela.

Puis lentement, avec un accent dont tous les assistants se sentirent souffletés :

— Le czar Alexandre ne saurait pas subir la honte, ni l’imposer à d’autres.

Caché par les décombres, Marc Vidal tendait les mains vers la vaillante jeune fille.

Ses gardiens craignirent sans doute qu’il ne trahît sa présence, car lin bâillon s’appliqua sur sa bouche, et les soldats resserrèrent leur cercle autour de lui.

Sans prononcer une parole, Alexandre s’était levé. Il fit le geste de l’homme qui se lave les mains ; comme Pilate jadis, il n’avait pas le courage de défendre la victime réclamée par son entourage.

Lucile comprit. Elle clama :

— Sire, Sire…, se désintéresser du crime est devenir complice.

Il eut un brusque sursaut, mais après une légère hésitation, il s’éloigna, suivi de Frédéric-Guillaume de Prusse, de Blücher, de ses gardes.

Le cortège disparut par l’une des baies ouvertes dans les murs dont la cour était entourée.

Alors Pozzo di Borgho frappa sur l’épaule d’Enrik Bilmsen, un peu décontenancé par ce qu’il venait d’entendre :

— Réjouissez-vous, maître Bilmsen, dans quelques jours vous conduirez la bien-aimée à l’autel.

— Croyez-vous donc qu’elle changera d’avis ? bredouilla l’interpellé.

— Non ; elle continuera à penser que cette union est une trahison envers la France.

— Comment peut-elle penser cela ?

— Comment… ? Mais en raisonnant juste, mon brave. Cela vous est égal, n’est-ce pas ? Dans les affaires, on s’inquiète d’une seule chose, les voir réussir.

Bilmsen salua :

— M. le comte a dit là une grande vérité.

— Alors l’important est que cette jeune fille devienne votre épouse.