— On va vous amuser, braves gens. Je vous dois cela, car je me suis bien amusé de vous la nuit dernière.
— Y es-tu, murmura Bobèche à son oreille ?
— Oui, oui, va, ne crains rien.
— L’air bête… la parole un peu lourde, les mains tombant gauchement le long des cuisses.
— Comme ça ?
— Oui… mais éteins ton regard…, il est trop malin ton regard… défie-toi de d’Artin, il te dévore des yeux.
Satisfait enfin, le pitre s’avança vers la rampe :
— Nous allons distiller pour vos oreilles le nectar de l’esprit, enclos en une ravissante saynète du plus grand écrivain du moment. Je ne le désigne pas autrement, sa modestie s’y oppose.
L’annonce fit sourire tous ceux qui ignoraient le but caché de la représentation. Encouragé ainsi, Bobèche clama de sa voix la plus retentissante :
— Galimafré amoureux, idylle, ou le véritable Paul et Virginie[1].
La pièce commença.
Dialogue incohérent, cocasse, calembours, coq à l’âne, se succédant en fusées ; allusions politiques, médisances mondaines, se mêlaient à un texte « omnibus » emprunté aux parades du théâtre des Pygmées.
Imperturbable, Espérat débitait les énormes balourdises de Galimafré ; sans sourciller il émettait des répliques comme celle-ci :
— La France, cette fileuse inconsolable.
— Quoi ? Comment ? la France, une fileuse, interrompait Bobèche ?
— Oui, patron, et inconsolable aussi, car elle a perdu son roi (rouet). Ou bien les deux compères échangeaient ces phrases folles :
— Cette demoiselle est née à Berne ; alors elle est certaine de se marier.
— Vraiment ?
— Sans doute, puisque fille de Bernadotte (fille de Berne a dot).
La salle applaudissait.
— Bon, fit tout bas Milhuitcent, profitant d’un instant où les bravos l’obligeaient à suspendre son jeu ; la partie est gagnée.
Bobèche secoua la tête :
— Ne t’y fie pas, regarde le d’Artin, il fronce le sourcil, il te foudroierait si ses yeux étaient des pistolets. Je ne sais pas ce qu’il complote, mais j’ai de la défiance.
- ↑ Pièce du répertoire de Bobèche-Galimafré.