Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/244

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Ah ! son instinct ne le trompait pas… Non, non, ce n’était pas un paysan vulgaire, ce petit qui, sans préparation, s’improvisait comédien !

Et retrouvant, malgré le maquillage, la ressemblance qui l’avait si fort impressionnée lors de sa première rencontre avec Milhuitcent, cette ressemblance qui avait frappé le comte de Rochegaule, il murmurait :

— Ce sont les traits de la comtesse défunte, née de Mirel… Serait-ce donc l’enfant que, dans la nuit, j’ai jeté le long de la route… Le doute même est insupportable… Il faut que ce drôle disparaisse.

Mais la parade continuait, conduite par Bobèche :

— Moi, Sainte-Alliance, j’envoie contre toi, Blücher, Olsouvieff, Sacken par la Marne, Schwarzenberg par la Seine. Ils vont t’entourer, Napoléon-Galimafré, que fais-tu ?

— Je quitte Troyes.

— Tu fuis, grand lâche, tu remontes vers le nord, avec l’idée de t’échapper ; mais, à Champaubert, tu rencontres l’invincible Olsouvieff avec ses valeureux Russes.

— Je le rencontre.

Eh bien retourne-toi, que je t’administre la correction Olsouvieff.

Et Bobèche agitait le pied d’inquiétante façon.

Sous le rouge, Espérat avait pâli. L’instant critique était arrivé. Aurait-il le courage, devant cette assemblée d’ennemis de la France, de laisser houspiller l’Empereur en sa personne ?

Oui, la prudence le commandait… Cela d’ailleurs n’avait aucune importance.

— J’obéis, patron Bobèche, fit-il.

Mais sa voix s’étranglait dans sa gorge, rendue rauque par l’émotion.

Pourtant il exécuta le mouvement commandé.

Bobèche aussitôt lui allongea le coup de pied traditionnel, et les spectateurs éclatèrent en applaudissements, qui couvrirent le rugissement de colère qu’Espérat n’avait pu retenir.

Une minute, il resta immobile, les yeux fermés, pensant qu’il allait perdre connaissance. Le geste de son partenaire, la joie insultante de cette foule exotique insultant aux malheurs de la France, l’avaient atteint au cœur. Il avait l’impression d’avoir permis le sacrilège, d’avoir jeté une poignée de boue sur son idole, d’avoir été criminel vis-à-vis de l’Empereur.

Mais un chuchotement parvint à son oreille :

— Courage, Espérat, on leur rendra tout cela avec les intérêts.

C’était Bobèche qu’effrayait le trouble du jeune garçon.

Il fallait poursuivre la parade infâme. D’Artin, de sa place considérait