Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/270

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— Tu es tout au devoir, toi ; laisse-moi accomplir le mien.

— Que signifie… ?

— Écoute… En te voyant, en te sachant enfant trouvé à Stainville, une pensée m’était déjà venue… Tout à l’heure les paroles de mon père…, — il se reprit vivement : — du comte de Rochegaule ont ranimé l’impression ressentie naguère.

— Quelle impression ?

— Tu ressembles à la comtesse de Rochegaule, née de Mirel, à la morte que depuis des années, j’appelle, avec horreur de mon mensonge, ma mère.

Milhuitcent frissonna. Devant ses yeux passa comme un brouillard… Quoi lui, le pauvre enfant abandonné, élevé par la charité du maître d’école de Stainville…, il était l’image vivante de la défunte.

Le comte, ce vieillard auguste, pourrait être son père… Lucile serait sa sœur… d’Artin son frère.

Cette dernière conséquence lui fit faire la grimace… Et puis, n’était-il pas insensé de s’abandonner au rêve éclos dans la cervelle repentante d’Henry. Celui-ci n’était pas le chevalier de Mirel, d’accord ;… mais pourquoi conclure de ce fait que lui-même méritait ce titre, ce nom ?

Sa ressemblance avec la morte, endormie sous la pierre tombale dans la chapelle de Rochegaule. Existait-elle cette ressemblance ?… Et même si elle était complète, indiscutable, que prouvait-elle ? La nature ne s’amuse-t-elle pas parfois à créer deux êtres identiques ? Les Ménechmes, Sosies, démontrent que la remarque a été faite dès la plus haute antiquité.

Résultat de ces réflexions qui se succédèrent avec la rapidité de l’éclair : Espérat haussa les épaules et grommela :

— Tu es fou, Henry. Tu prends ton désir pour la vérité.

Mais le petit voltigeur secoua la tête.

— Écoute du moins.

— Soit… j’écoute…, pour te faire plaisir… Je t’avertis seulement que si tu ne m’apportes pas d’autres preuves que la forme de mon visage…

— Attends.

Et lentement, Henry commença.

— M. de Rochegaule, de son premier mariage, eut deux enfants : François, vicomte d’Artin, et Lucile.

— Bien.

Mme  de Rochegaule trépassa durant l’émigration. Rentré en France vers la fin de 1798, le comte rencontra Mlle  de Mirel. Son mariage fut décidé. Or, d’Artin âgé alors de quinze ans, déjà autoritaire et vindicatif, vit la chose