Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/282

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de victoire… en mon absence Schwarzenberg, tranquille sur la Seine s’était avancé jusqu’à Montereau. Je dus renoncer à écraser Blücher pour revenir contre l’armée de Bohême et la refouler au delà de Troyes. Mes ennemis se réjouirent : «Nous avons doux troupes, Napoléon n’en a qu’une. Tandis qu’il combattra Schwarzenberg, Blücher marchera sur Paris. Il se précipitera alors contre le Prussien…, et l’armée austro-russe gagnera du terrain. » Hommes à vue courte, à idées étroites… ! Ils n’ont pas compris que je venais de poser la partie. Ils ont pris pour la manœuvre suprême le début de la campagne.

Et s’animant par degrés :

— En revenant sur Troyes, je ne laissais en face de Blücher que 11,000 soldats avec Marmont et Mortier… Cela devait le tenter, le vieux feldmaréchal. Cinquante mille combattants contre quatorze mille…, c’était la route de Paris ouverte… Et de Troyes, j’attendais la faute… la faute que j’avais préparée… Blücher ne l’a pas manquée. Il s’est mis en route, a franchi l’Aisne, a perdu son temps en vaines opérations contre mes lieutenants… J’attendais l’instant favorable… Au jour propice, j’ai quitté Troyes, et à cette heure, le Prussien battant en retraite à mon approche, est acculé à l’Aisne, avec mes généraux à Oulchy, en avant de Villers-Cotterets, avec moi à Bézu et à Fismes. Un seul pont pour s’échapper, le pont de Soissons, et la ville est à moi, gardée par le général Moreau[1] et mes braves polonais. L’armée de Silésie est prise comme dans une souricière. Les renforts, commandés par Bulow et Wintzingerode, ne peuvent lui porter secours, car ils sont séparés d’elle par le cours de l’Aisne, ceux-là aussi seront pris… Ensuite, que m’importe l’armée unique de Schwarzenberg. Avec mes vaillants, je file sur Saint-Dizier, sur la frontière, je ramasse les divisions éparses dans les places fortes et, avec cent mille hommes, je tiens les communications des envahisseurs. Plus de renforts, plus de convois, ils doivent battre en retraite, rentrer chez eux. Alors la France peut traiter sur ses frontières reconquises, je puis abdiquer en faveur de mon fils… La Révolution m’avait légué la guerre, je léguerai la paix à la nation.

Puis, appliquant ses mains brûlantes sur les épaules d’Espérat :

— Et toi, enfant de France, toi, qui as déjoué les complots du Tugendbund et retardé ainsi la marche de l’armée de Bohême ; toi qui m’as fait gagner les heures nécessaires à l’exécution de mon plan libérateur, je te remercie, car tu m’as épargné peut-être l’agonie de la défaite.

  1. Malgré la similitude du nom, ce Moreau n’avait aucun lien de parenté avec son célèbre homonyme tué en 1813 on combattant contre la France.