Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/283

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— Sire, Sire, bégaya Milhuitcent. Ne parlez pas ainsi… N’associez pas un être infime aux conceptions de votre génie… Ce n’est pas moi… c’est Dieu qui a protégé la France et l’Empereur.

Napoléon posa sur son interlocuteur un regard d’une douceur infinie. Mais soudain l’exaltation empreinte sur ses traits s’apaisa. Son visage reprit son immobilité olympienne, et lentement, tel un joueur calculant ses chances :

— Blücher, pour incapable qu’il soit, doit se rendre, compte que la clef de la situation est la possession de Soissons. Il va donc tenter contre la ville une furieuse attaque.

— Cela est sûr, fit Espérat comme s’il avait été consulté.

Cette faute d’étiquette n’irrita pas l’Empereur :

— Tu le penses aussi, mon jeune allié… Tant mieux. Tu comprends, toi, petit, ce que des têtes grises ne conçoivent pas. Il faut que Soissons tienne vingt-quatre heures… Une misère avec de solides remparts, une garnison vaillante,… Comme je l’ai déjà ordonné, que l’on brûle les faubourgs si ce n’est fait… que l’on fasse sauter au besoin le pont sur l’Aisne.

— Bien, appuya le gamin.

— Il faut rehausser le courage des défenseurs, leur dire tout cela. Je veux leur envoyer l’ordre de tenir en leur disant l’importance de leur courage.

— Nous partirons quand vous voudrez, Sire.

Napoléon eut ce bon sourire qui flottait sur ses lèvres lorsque l’on allait au-devant de ses désirs. Mais, comme à son habitude, il feignit de résister, plaisanterie familière qui décuplait le prix de ses remerciements.

— Toi ?

— Moi,… et Bobèche, si vous le permettez.

— Bobèche aussi ?

— Nous ne nous quittons pas.

— Un comédien… singulier ambassadeur.

— Tout ambassadeur gagne à être comédien.

L’Empereur se prit à rire. Les répliques nettes, précises, de son interlocuteur l’amusaient.

— Tu es dur pour mes ambassades, petit.

— Mais juste pour Bobèche, Sire.

— Après tout, tu dois avoir raison. Tu te connais mieux que personne en dévouement. Mais tu es fatigué.

— Je ne le suis plus.

— Depuis quand ?