— Emmie !
Sika retrouvait la petite cousine de Marcel Tibérade. Mais la fillette lui donna une tape sur la main en grommelant d’un air très fâché :
— Chut donc, mademoiselle Sika, vous me feriez pincer !
Et dans un chuchotement en hâte, ainsi qu’une personne ayant conscience de la valeur des minutes :
— J’ai réussi à me faire engager comme jardinier au palais… comme jardinier, vous entendez, afin de veiller sur vous et de vous défendre au besoin, jusqu’à la prochaine arrivée de votre père, de mon cousin.
— Quoi ? Vous pensez qu’ils seraient…
— À peu de distance. Oui, votre billet est parvenu à son adresse… Quant au vêtement du mikado, je me suis improvisée sa bobonne et je l’ai amené avec moi dans cette belle ville de Bassorah !
Sika écoutait, incapable de prononcer un mot dans l’excès de sa joie. Ses mains frémissantes se croisaient nerveusement sur sa poitrine. La fillette, elle, continuait, aussi flegmatique que si elle avait coutume de passer sa vie sur une échelle :
— Parvenus à Bassorah, le général et Marcel s’adresseront aux consulats européens. Le coquin de prince sera obligé de vous remettre en liberté…
À ces mots, la jolie Japonaise tressaillit. Les dernières paroles prononcées en ce jour par Ahmed lui revinrent en mémoire. Leur sens terrible lui apparut, et avec angoisse elle murmura :
— Pourvu qu’ils ne tardent pas ! Mon geôlier m’a déclaré, aujourd’hui même, qu’il m’obligerait demain à l’épouser ou bien…
— L’épouser, lui, ce singe déguisé en prince.
— Non, Emmie, protesta la captive en frissonnant ; pas un singe comme vous le dites, mais un fauve capable de toutes les cruautés…
Narquoise, la petite Parisienne l’interrompit :
— Ne vous frappez donc pas, Sika… J’ouvrirai l’œil, et s’il est nécessaire, j’utiliserai un aimable instrument dont je me suis munie à tout hasard, bien qu’il n’ait aucun rapport avec le jardinage.