Page:Ivoi - Le Message du Mikado.djvu/49

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Et il se jette dans la rue Auber, bientôt masqué au groupe qu’il fuit par les bâtiments de l’Opéra.

Il est hors de danger. Il peut prendre une allure indifférente, les mains dans les poches, souriant à son « moi » intérieur qui lui répète en modulations triomphantes :

— Elle, sauvée par moi… Quelle chance ! Quelle joie !

Il remonte machinalement vers Montmartre, insensible à ce qui se passe autour de lui, absorbé par la pensée de l’exquise vision qui emplit son souvenir. Il heurte les passants, sans daigner prêter aucune attention à leurs récriminations. Il est si loin de la réalité, si enfoncé dans son rêve qu’un gros homme qu’il bouscule et qui lui crie : « Pourriez faire attention, espèce d’abruti ! » il réplique de l’air le plus gracieux : « Trop aimable, monsieur. » Ce qui méduse l’insulteur.

Elle, sauvée ! La phrase incessamment répétée chantait en lui. Cependant ses jambes arpentaient le terrain. Son corps, abandonné à lui-même, se dirigeait instinctivement vers la rue Lepic, tel que le cheval regagnant l’écurie à l’insu du charretier endormi.

Sans être sorti de son rêve, il se trouva dans son logement. Une exclamation de la petite Emmie le rappela brusquement au sentiment de la réalité.

— Déjà de retour ! s’exclamait la fillette ; tu n’as pas perdu de temps. Et tu es content, cela se voit de suite.

— Content ? Dis ravi, transporté.

— Donc tu as réussi, bravo… On va mettre les petits plats dans les grands. Pour commencer, je cours chercher le dîner.

Une douche glacée n’eût pas surpris davantage le pauvre Tibérade.

— Le… dîner ? Sapristi ! Mais je l’ai totalement Oublié.

— Oui, mais moi j’y pense, et on va le soigner, puisque tu as une place à présent.

— Une place ! Hélas ! non.

— Non, quoi ?