rien ne nous oblige à nous ignorer, comme depuis notre départ de Paris.
Elles se tendirent la main et s’oublièrent un instant dans une étreinte confiante.
De fait, elles étaient attirées l’une vers l’autre. Pourquoi ? Elles n’eussent su l’expliquer. Au vrai, elles subissaient l’attraction inconsciente de deux natures droites, se reconnaissant loyales.
— Ce sera bien plus gentil comme cela, reprit Emmie. De plus, si le général veut avertir mon cousin d’une chose imprévue, ce sera aussi beaucoup plus commode.
— Et nous serons amies, miss Emmie ?
— Pour, ma part, c’est déjà fait, mademoiselle Sika.
La Japonaise se prit à rire, mais son visage revint tout doucement à. une expression grave :
— Très curieux, prononça-t-elle comme se parlant à elle-même ; je crois que chez moi, c’est fait également… Jamais je n’aurais supposé que l’affection pût naître si rapidement.
— Oh ! déclara doctoralement Emmie, Kant l’a écrit : « Le processus des affections vraies, en dépit des protestations du vulgaire, est foudroyant. »
Et Sika la couvrant d’un regard, décelant sa surprise de voir Kant apparaître en cette affaire, la petite Parisienne reprit vivement :
— Mon cousin m’a enseigné la philosophie, je lui en ai une vive gratitude à cette heure, car elle me permet d’expliquer ce qui vous paraissait inexplicable.
Mais, changeant de ton :
— Voulez-vous faire accepter notre résolution par M. le général ?… Moi, je me charge de Marcel.
Un signe de tête, une nouvelle étreinte des mains, le pacte était conclu.
Les deux nouvelles amies se séparèrent, chacune se mettant à la recherche de son parent.
Emmie se dirigea vers l’escalier des cabines de première. Elle avait laissé Tibérade enfoncé dans la lecture d’un livre attachant, et elle comptait le retrouver ainsi.