Page:Ivoi - Le Serment de Daalia.djvu/187

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Un silence suit. Albin a repris la lorgnette. Il regarde un point noir, au-dessus duquel flotte comme un léger brouillard d’azur, et qui se déplace sur la blancheur lointaine de la route.

Mais ce point disparaît avec la chaussée elle-même sous la verdure des bois.

Alors, le jeune homme s’adresse au cocher :

— Quel est le nom du premier relais ?

— Pantenang.

— Et nous y arriverons ?

— Vers six heures.

— Ah !

Soudain, le ciel s’obscurcit. Qu’est-ce ? L’explication se présente sous forme d’une nuée de petits oiseaux que les indigènes appellent kanas (voleurs de riz).

Puis la lumière reparaît.

Déjà le soleil chauffe ferme, bien qu’il soit à peine huit heures. Le cocher change de coiffure. C’est un immense parasol rouge et jaune dont il couvre à présent son crâne. On croirait voir un guerrier casqué de son bouclier, et, involontairement, on songe aux combattants de jadis, auxquels leurs mères disaient, en leur confiant le scutum d’airain :

— Reviens dessous ou dessus.

Voici la forêt. La route s’enfonce sous un tunnel de fougères arborescentes, hautes de dix à douze mètres. Des lianes de mille nuances feutrent tous les interstices, courant d’arbre en arbre, de branche en branche, retombant jusqu’au sol, pour y reprendre racine et projeter vers le ciel de nouveaux rejets.

La fable du géant Antée, reprenant des forces tourtes les fois qu’il touchait la terre, ne symbolisait-elle pas la prodigieuse vitalité des lianes. 

Le chemin monte, épouse les contours de la montagne, serpente dans des ravins que les menthes teintent de rose.

Fleurs et lumière collaborant pour varier les aspects, il semble que la nature étale sous les yeux, une immense robe Loïe Fuller.

C’est exquis et troublant. Albin lui-même se sent pénétré par la beauté féerique de ce sol javanais. Il oublie les Américaines ;