— Moralès a juré le contraire. Si tu n’as pas autre chose à dire, retire-toi et laisse s’accomplir le sacrifice.
Un sanglot interrompt le Batta. L’oncle François tend vers lui des mains suppliantes. Il balbutie :
— Grâce ! grâce !
Myria-Outan secoue la tête :
— Impossible, vieillard ! La loi est formelle. Le vœu non respecté ne peut être effacé que par la mort.
Il semble que l’air lui-même frémit à cette cruelle déclaration ; mais Albin relève le front, il a sur les lèvres un vague sourire ; puis, gravement :
— Prêtre, tu interprètes bien mal les volontés de ton dieu…
— Que dis-tu ? s’écrie l’interpellé, avec surprise.
— Je dis que M’Prahu ne veut pas que Daalia meure.
— Il ne le veut pas ?
— Non, car, au moment où, elle et moi, nous nous engloutissions dans la mer, à Chemulpo, notre mort était assurée. Déjà, l’enfant avait perdu connaissance, ses deux yeux s’étaient fermés. Si ton dieu avait voulu sa mort, il n’aurait pas permis que la barque d’Oraï survint à cet instant et nous tirât de l’abîme. M’Prahu veut qu’elle vive.
Il y a comme un soupir joyeux parmi les assistants.
Les prêtres se regardent étonnés. L’explication donnée par Albin les trouble. Que croire ? Après tout, cet Européen dit peut-être la vérité ! Qui donc oserait affirmer que la volonté du dieu était absente lorsque la jeune fille a été tirée des eaux ? Enfin, Myria-Outah murmure :
— Il faudrait encore avoir recours au livre sacré.
— Oui, appuie Albin.
— Prends garde ! Les oracles sont parfois terribles, et celle que tu espères nous arracher va peut-être avoir à subir d’horribles tortures.
Mais le Français hausse les épaules :
— Elle n’est pas en jeu. La protection de M’Prahu l’a mise hors de cause.
À cette heure, il reste un doute dans l’esprit des prêtres.
— Que faut-il en ce cas ? Une victime pouvant subir l’oracle quel qu’il soit.