Page:Ivoi - Le Serment de Daalia.djvu/65

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C’est Rana, la vieille nourrice de Daalia, qui s’agace, s’énerve de voir sa jeune maîtresse absorbée, pensive.

Oh ! la vieille Soumhadrienne est dévouée à sa fille de lait. Elle l’aime comme les Malais savent aimer, avec rage, avec jalousie, avec cruauté.

Et à cette heure, elle s’irrite.

Qu’a donc la jeune fille à rester ainsi, muette, songeuse. Elle qui est le sourire, la gaieté… Quel nuage a passé sur sa pensée ?

Et la vieille nourrice se creuse en vain l’esprit pour deviner.

Elle murmure des phrases qui n’ont pas de réponse :

— Daalia n’était pas ainsi hier… Non, jusqu’à sa promenade au port de Chinchadeng, non… C’est après… oui, après. Durant la sieste, elle est restée là aussi… Elle n’a pas dormi… c’est comme aujourd’hui… Que lui a-t-on fait pour l’attrister ?

Elle cherche toujours :

— Qui lui a déplu ?… Voyons, qui est venu ici depuis hier ?… Voyons… Hirleman, ce voyageur musicien que tout le monde s’arrache ?… Non, l’enfant ne l’a pas vu… Elle lisait, là-bas, près des mangoustani du bassin Bleu… Le gouverneur ? Il est resté cinq minutes… Il s’est enfermé avec maître François… C’est tout… Qui donc ? Qui donc, alors ?

Soudain elle tressaille.

Daalia a relevé la tête. Ses yeux regardent dans le vague comme au sortir d’un rêve.

— Rana, appelle-t-elle d’une voix dolente.

D’un bond, la nourrice est auprès d’elle.

— Que veut l’Oiseau Mouche chéri ?[1]

La caresse du mot fait sourire la jeune fille, mais cette marque de gaîté s’efface aussitôt :

— Rana, je m’ennuie.

— Elle s’ennuie, la Fleur. Cela est-il possible ? Il ne faut pas que tu t’ennuies. Tiens, veux-tu que ta vieille Rana prenne sa guitare à deux cordes et qu’elle danse le S’chirit[2] des fiancées.

  1. Terme usité. Les mères javanaises appellent ainsi les enfants des nobles, des riches…
  2. Danse sumatrienne.