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Page:Ivoi - Le Serment de Daalia.djvu/9

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seulement marquer à Monsieur que l’absence d’un client comme lui se fait sentir.

Sans que son visage exprimât autre chose que l’indifférence, celui qui venait d’être appelé Albin Gravelotte coupa court aux protestations de l’employé.

– Écoutez-moi bien. Je veux un dîner soigné, mais l’addition ne doit pas dépasser cent francs, pourboire compris. Pour le menu, je m’en rapporte à vous.

Le maître d’hôtel s’inclina :

– Cent francs, pour deux, on peut marcher.

Et il se retira à reculons en ajoutant :

– Monsieur sera satisfait.

La porte refermée, Albin s’étendit voluptueusement sur un siège, puis doucement :

– Cinq louis pour le repas ; il nous restera quatre francs vingt-cinq centimes. De quoi payer la voiture qui nous conduira au bois de Boulogne. Une fois là… tu as ton revolver, Morlaix ?

– Parfaitement.

– J’ai le mien. Nous nous faisons sauter la cervelle de compagnie, échappant ainsi au souci du lendemain, aux angoisses de la misère.

Morlaix l’arrêta :

– Mon bon Albin, tout cela est convenu, donc pas de discours. Nous avons encore quelques heures à vivre, un succulent dîner à déguster, une délicieuse promenade en fiacre à effectuer. Que diable ! faisons tout cela gaiement.

– Mon cher, dit sévèrement Gravelotte, on ne meurt pas gaiement ; on meurt vaincu par la vie.

– Bah ! on meurt comme l’on peut. J’ai envie de rire, moi.

– Peut-être préférerais-tu vivre… Tu es libre, tu le sais.

Du coup. Morlaix fronça les sourcils.

– Pas de ces plaisanteries-là, commença-t-il d’un ton irrité…

Mais s’apaisant soudain :

– Tu es bête ! J’ai associé ma fortune, – ma fortune, la langue française vous a de ces ironies ! – ma misère à la tienne. J’ai juré de te suivre partout… Tu te suicides, moi aussi… Au fond, je m’en fiche !