Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/113

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Le roi frappa rageusement les bras de son fauteuil :

— Encore. Talleyrand veut-il que je me compromette ? Non, l’Europe a décidé d’interner Napoléon à l’île d’Elbe. Elle ne m’a pas admis à discuter ce point. Qu’elle agisse à sa fantaisie, je m’en lave les mains. Je ne veux, à aucun titre, m’immiscer dans cette affaire… Que l’on m’accuse, si l’on ose ; l’avenir dira que Louis le dix-huitième a voulu rester et est resté étranger à toutes les mesures prises contre son prédécesseur…, à toutes, sans exception.

Le comte eut un sourire contraint :

— Le respect scelle mes lèvres.

— Le respect, s’écria Louis mis hors des gonds, le respect. Dites-moi toute votre pensée. Il n’est plus temps de vous arrêter. Je vous ordonne de traiter la question à fond, m’engageant à vous pardonner toute erreur de langage, car, je n’en doute pas, le patriotisme et l’amour du trône seuls vous guident.

— Votre Majesté me juge bien.

— Parlez donc, en ce cas.

D’Artin s’inclina profondément. Ses paupières se baissèrent pour dissimuler un éclair triomphant. Ayant licence de parler, il sentait qu’il avait partie gagnée. Louis XVIII, sceptique mais timoré, s’inquiétait beaucoup du jugement de la postérité. C’est par là qu’il allait l’attaquer.

— Sire, reprit-il après un court silence. Croyez-vous réellement que Napoléon ait été le batailleur impitoyable que l’on représente aux peuples.

— Certes, non.

— Il a été entraîné, n’est-ce pas, dans l’engrenage logique de la lutte entre les idées nouvelles et celles du passé ?

— Tout esprit réfléchi le jugera ainsi.

— Vous ne le jugez pas non plus avide, sans cœur, sans scrupules, sans honneur ?

— Non. Mais quel rapport ?

— J’y arrive, Sire, Napoléon est généralement reconnu coupable d’une quantité de fautes qu’il n’a pas commises, mais que ses ennemis ont eu intérêt à lui attribuer.

— Eh bien ?

— Et savez-vous pourquoi, Sire, ces calomnies systématiques trouveront toujours un écho dans l’esprit des foules ?

— Je vous serai obligé de me le dire.