Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Oh ! cet Aiglon, que le plus noble peuple du monde avait sacré roi de Rome, portant la livrée honteuse de ceux qui du faîte précipitèrent son père.

Oh ! l’insulte inconnue, quotidienne, au vaincu que la défaite même n’a pu diminuer.

Combien cette mascarade lugubre devait réjouir les représentants de l’Europe coalisée. Certes, ils devaient rire, ces vainqueurs stupéfaits de leur victoire, en voyant le fils, un enfant innocent, se pavaner dans ces habits, que le cauchemar même se refusait à présenter au sommeil de Napoléon.

Espérat ressentait ces choses avec une acuité insoutenable. Il ferma les poings, les appliqua sur ses yeux.

Il ne voulait plus voir.

Et cependant Marie-Louise approchait, souriante, inconsciente du crime qu’elle commettait comme épouse, comme mère. Sa robe traînait en froufroutant sur le fin gravier de l’allée, ses yeux se noyaient de vague ; peut-être songeait-elle à Neipperg, ce ridicule galant autrichien, auquel la folle créature allait sacrifier l’être glorieux qu’elle ne comprit jamais.

Infatigable à la danse, Marie-Louise avait horreur de la marche. Un banc de marbre se trouvait près des buissons ; elle s’y laissa choir languissamment.

Devant elle, le duc de Reichstadt se mit à jouer avec les cailloux.

Soudain, un laquais parut, portant une lettre sur un plateau de vermeil.

Elle le vit et curieuse :

— Une lettre ?

— Décachetée, Madame… ! a passé par les bureaux de la police.

Elle la prit avec indifférence, et, le valet s’étant éloigné, elle conserva à la main l’enveloppe couverte d’une écriture nerveuse, qui n’avait pas besoin du cachet de l’île d’Elbe pour trahir celui qui en avait tracé les traits altiers.

C’était une de ces missives désolées et touchantes que Napoléon adressait à son épouse.

Dans la noblesse de son âme, il se refusait à croire qu’elle l’abandonnait lâchement à sa mauvaise fortune. Il l’excusait, attribuant à la tyrannie des souverains alliés le silence qu’elle gardait. Si elle ne répondait jamais à ses messages, si elle ne venait pas le rejoindre avec son fils, c’est que l’Europe cruelle s’y opposait. Voilà ce qu’il ressassait dans chaque missive, ressuscitant des souvenirs émus, disant ses espoirs d’avenir.